Chène (d'Orval)
Ce qui compte c'est le poème de Jean-Jacques, alias Herri Gwilherm, bien qu'il m'évoque autant Rilke et Gongora, car tout s'explique si on connaît le site d'Orval et les circonstances de sa composition, idée que ni les poètes ni les commentateurs au demeurant n'acceptent. Donc regret que ce poème « traversier » qui nous fut dédié ne comporte pas d'illustration. J'en ai fait un long commentaire une fois à Zürich, sans pour autant convaincre mes auditeurs que le poète n'était pas si obscur et difficile que cela. Religieux oui, mais qu'est-ce à dire ? La main tremble hors du cercle de la plénière oasis
Lorsque d'un seul geste nous parcourons l'immensité du tronc
Avec pour unique sonde un coeur à peine moins silencieux qu'une feuillée
Nacelle de pierre d'où la psalmodie
Dans une moiteur tropicale se gonfle de vaine luxuriance
Et les simples font merveille dans le clos contigu
A l'abri de ce vaste ombrage constellé de noms
Qu'un à un nous recueillons avec le zèle du novice
Penché sur l'entrelacs des baumes
Durant qu'à voix couverte ils sont nuitamment proférés
Toi donne à la source l'obole d'un trouble
D'une voyance gravée dans le frisson obituaire
De l'eau fuyant vers les cascades les torrents et les vasques
Sur les dalles où se déposent des lustres de paroles
Elle te recouvre comme s'effleurent les doigts de l'imploration
Joints à ceux du sarcleur remuant ses lèvres sur l'herbe sauvage Il est tout-à-fait possible de justifier, sinon d'expliquer, chaque terme, aussi précieux soit-il, et bourré de cette religiosité originelle du Livre (quasiment orientale), par des images, des parfums et des rythmes du lieu (la source de la Reine Mathilde, la nacelle, la pharmacopée, les pas du novice...). Mais au-delà de ce foisonnement qui génère une grande évidence poétique, c'est l'esprit du lieu, du lieu cistercien (délaissant heureusement le côté mussolinien de la reconstruction d'Orval), qui a été saisi ici. Et je me mets à imaginer la promenade qu'aurait pu faire Herri Gwilherm avec un de ses amis très proches, poète breton et agnostique comme lui, Eugène Guillevic, qui fréquenta l'abbaye au temps de sa profession carolopolitaine, et dont un des exégètes, Bernard-Joseph Samain, est précisément moine à Orval. Cela explique qu'on trouve, avec le fromage, la bière et la Bible, les oeuvres de ce poète à l'accueil. Je tiens cette précision de Michèle Lévy (« Guillevic et l'esprit cistercien »).
Voir Repères bio[A-B]