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Vignettes mémorielles

Leila Slimani ou Kamel Daoud ?

15 Février 2025 , Rédigé par Jean-Pierre Maillard Publié dans #Littérature, #Politique, #Histoire, #Actualité

Leila Slimani ou Kamel Daoud ?
Je n’ai pas d’appétence particulière pour les prix Goncourt ou les futurs académiciens, mais je me sens obligé d’évoquer Leila Slimani (prix 2016) parce que j’ai bien connu au Maroc sa famille, qui fait l’objet de son dernier roman J’emporterai le feu, et parce qu’elle évoque le lycée français de Rabat dont je fus le proviseur. Je souhaite aussi revenir sur le cas de Kamel Daoud (prix 2024) en raison de la polémique qui s’est développée depuis ma dernière vignette sur Houri. Dans le contexte compliqué des rapports de la France avec le Maghreb et de la question de l’islamisme, se trouve ainsi ravivé, mais aussi souvent occulté, le vieux débat sur la fiction romanesque à tendance autobiographique et les droits et devoirs de l’auteur(e).

Il ne fait aucun doute que Kamel Daoud, pour le personnage d’Aube dans son roman Houri, s’est directement inspiré, sans autorisation ou précaution particulière, d’une rescapée de la décennie noire dont les confidences auraient été confiées à son épouse psychiatre. Un procès difficile juridiquement et diplomatiquement pourrait donc avoir lieu, si tant est qu’il incombe à la justice de dire la vérité, et malheureusement le grand et courageux écrivain que je persiste à admirer n’en sortira pas grandi. Dommage !

Le Maroc n’est pas l’Algérie et Leïla Slimani n’est pas Kamel Daoud, ni Boualem Sansal, ni bien d’autres écrivains maghrébins ou franco-africains d’envergure. Elle n’est même pas exactement la Mia Daoud de J’emporterai le feu, pas plus que dans ce roman les parents Mehdi Daoud et Aïcha Belhaj ne sont exactement Othmann et Béatrice Slimani. On pourrait multiplier les exemples qui permettent à l’auteure, en modifiant des personnages existants ou en créant d’autres simplement probables, de traiter des problèmes compliqués comme l’homosexualité ou l’alcoolisme en pays musulman, et finalement l’exil impossible et la solitude profonde des individus quelles que soient les générations et l’évolution du pouvoir et de la société.

Autrement dit, elle traite à sa manière les mêmes thèmes que ses collègues, qu’elle connaît d’ailleurs bien et apprécie. Elle ne cherche pas du tout à cacher la réalité historique, dans la ligne des deux premiers tomes de sa trilogie (qui portait sur les années 50 et 70), mais pour obéir aux exigences d’un Maroc (les années 80) devenu contemporain et au difficile devoir d’introspection qu’elle s’est donné, elle utilise délibérément toutes les ressources de la fiction et privilégie les souvenirs et les impressions fortes, sans nostalgie ni rancoeur. pour faire passer son message.Tout tourne autour du drame personnel qu’a été pour Leila Slimani l’emprisonnement en 2001 (elle faisait alors ses études en France) de son père, haut-fonctionnaire qui fut secrétaire d’État sous Hassan II, injustement accusé de corruption sous Mohamed VI. Il en mourra libéré mais malade, en 2004, et ne sera réhabilité qu’en 2010. C’est à partir de 2009, comme elle le décrit dans Le Parfum des fleurs la nuit (au musée) qu’elle approfondit son devoir d’introspection : « En mourant, mon père m’a contrainte à le venger ». Des années encore après, d’un travail et d’un accouchement difficiles, ce n’est plus de vengeance qu’il s’agit, mais de souffrance et de compassion. La douleur est partagée avec la famille et les survivants de ces années de plomb, sans trop de rancoeur pour les comportements des pouvoirs et les abandons ou trahisons des amis.

Cela donne un roman très prenant, personnel, maîtrisé, lucide, très inspiré par sa famille, autobiographique
même, avec sa part d’autodérision ou de vérité (« J’ai toujours vu mon père comme un personnage de roman »), mais la fiction l’emporte sur la nostalgie et l’amertume. Et le message s’adresse solidairement à tous les exilés, solitaires, marocains ou pas, Aux#Horslaloi, comme le dit la dédicace. D’aucuns trouveront cela trop facile. Mais si ce n’est pas la manière de Kamel Daoud, ni tout à fait le même monde, c’est le même message.

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