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Vignettes mémorielles

Lire Bruno Latour

7 Mars 2024 , Rédigé par Jean-Pierre Maillard Publié dans #philosophie-religion

Lire Bruno Latour

Bruno Latour [1947-2022] nous a quittés il y a quelques mois et son dernier livre vient de paraître à La Découverte. C’est l’occasion de faire le point sur la réception d’un philosophe devenu incontournable depuis la montée en puissance de la problématique écologique.
Il y a deux parties dans ce livre posthume. La deuxième, intitulée Exégèse et Ontologie est le texte de sa thèse de doctorat de troisième cycle soutenue après l’agrégation de philo. On peut se passer de lire ce document difficile à suivre, qui évoque aussi bien Saint-John-Perse et Péguy que l’évangile de Marc, mais Latour, qui ne se souvenait guère de ce texte, ne s’est pour autant jamais caché d’être catholique, la religion n’étant pour lui qu’un « mode d’existence », avec sa parole propre au même titre que la science, le droit ou la politique.
L’intérêt principal de ce livre est dans la première partie, La religion à l’épreuve de l’écologie, mais ce n’est pas la perspective religieuse, malgré les efforts de ses interlocuteurs pour le ramener sur ce terrain, ni même la question écologique, sur laquelle Latour s’est penché magistralement mais tardivement. Il est, par une rétrospective en forme de bilan méthodologique, de s’interroger sur la cohérence d’une trajectoire intellectuelle particulièrement féconde, celle d’un héritier direct des structuralistes et de la génération postmarxiste qui est la nôtre, nourrie de culture « (post-)moderne » mais aux prises avec des problématiques complètement nouvelles.
Bruno Latour était bien connu des philosophes des sciences, des sociologues et anthropologues. Longtemps en poste de direction scientifique à Sciences Po, appliquant ses recherches à toutes sortes de domaines des sciences, du droit et des arts, sans craindre de s’opposer aux doxa dominantes (Bourdieu  par exemple), c’était un homme très charismatique, à la pratique pédagogique collective, à l’écoute de l’actualité et de la société. Jusqu’à la fin de sa vie, avant et après la période du confinement (Voir Où suis-je ? aux Empêcheurs de tourner en rond, 2021), il s’est engagé sur des questions devenues essentielles (Voir Où atterrir ? À La Découverte, 2017).
C’est ainsi que l’écologie, au moins depuis Face à Gaïa, Huit conférences sur le nouveau régime climatique [La Découverte 2015], est devenue par la force des choses un thème fondamental de sa réflexion, en accord avec des penseurs essentiels de l’anthropocène et de la nature (ne pas dire la planète!) comme Morizot ou Descola, à la suite de Lévi-Strauss ou Malaurie, ou « classiques » comme Spinoza. Le monde des vivants s’impose désormais à nous et la nature a sa propre logique, ce qui implique une vraie révolution de nos comportements et perspectives, qui ne peuvent plus être « modernes ». Mais ce qui importe à Bruno Latour (comme à Edgar Morin) c’est la méthode. Et d’appliquer cette méthode collectivement, avec pragmatisme et sans illusion, car on est désormais confronté à l’incertain, aux différents domaines qu’on rencontre et observe sans être obligé de les déconstruire de l’extérieur.
On avait déjà un excellent aperçu du personnage, de ses idées et de sa méthode de travail et de recherche dans Habiter la terre [les liens qui libèrent et Arte Editions, 2021], qui reprend ses entretiens avec Nicolas Truong, du Monde. Celui-ci a la bonne formule : Latour « pense en bande et réfléchit en équipe, à l’aide de collectifs et de dispositifs ». C’est ce qu’on retrouve avec plaisir et à l’identique dans ce dernier opus, car les enregistrements sont de la même époque (automne 2021).
Quant à la question religieuse, « la crise cosmologique est [peut-être] une chance pour l’Eglise », et Bruno Latour, quelque peu nostalgique du concile de Vatican II, ne tarit pas d’éloges pour l’encyclique Laudato si’, réponse selon lui appropriée à un véritable tournant eschatologique. Mais il connaît bien l’histoire de cette institution, a son franc parler et n’est pas dupe. Cela ne l’empêche pas de rester résolument optimiste : « Je ne sais jamais si je suis sociologue ou philosophe. C’était terrible d’être moderne, la modernité nous fermait, maintenant c’est super ».

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