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Vignettes mémorielles

Un an dans la forêt François Sureau

21 Décembre 2022 , Rédigé par Jean-Pierre Maillard Publié dans #Littérature, #Ardennes-Touraine

Retour dans les Ardennes pour François Sureau
« Quarante ans ayant passé, je voudrais revenir dans les Ardennes. Alors qu’elle avait été jusque-là prise dans les glaces de la mémoire, je revois depuis quelques jours cette forêt revivre et s’animer. Je mélange en esprit le gris du ciel et l’épaisseur immobile de tunnels d’arbres aux perspectives repoussées, à chaque pas, vers une découverte, un secret qui se dérobent ». Voilà le début de son livre, signé de « Sedan, février 2022 ».
     L’énarque, avocat et nouvel académicien, avec ce petit livre aux authentiques mais discrets quoique essentiels relents biographiques, a bien des mérites. Le premier est qu’il attire l’attention des spécialistes de Blaise Cendrars sur un épisode ardennais significatif mais occulté de sa vie, et nous fait connaître cette Elisabeth Prévost, grande voyageuse taraudée par le démon littéraire, chez qui le poète passa un an près de Charleville où elle élève des chevaux jusqu’à ce qu’éclate la guerre où il perdra un bras. Il ne la reverra qu’à travers le personnage fictif de Madame mon copain (L’Homme foudroyé) et elle publiera plus tard des souvenirs qui l’évoquent comme «dans ma vie, et pour toute ma vie, l’être qui marqua le plus mon coeur et mon esprit »
     C
ette histoire a fasciné Sureau, car lui-même s’était retrouvé comme militaire en 1978 dans ses Ardennes natales, avant de s’intéresser, comme Cendrars, à la Légion étrangère (« Je n’en ferai pas un plat »), se prenant déjà dans son souvenir pour le Grange d’Un balcon en forêt. Et c’est là qu’il fut en quelque sorte initié au monde de la forêt, qui lui « est très tôt devenue un port ». En fait on peut constater que ce ne fut qu’une initiation (Ah ! Les fameux bois de la Marfé , écrivez Marfée si vous êtes surréaliste !), car finalement sa forêt n’est pas vraiment restée celle des Ardennes. D’ailleurs il se réfère plutôt à la Chartreuse du Mont-Dieu (qui fut bien, non loin de Vouziers, la première en France, « où les restes du monastère d’autrefois [vers 1100], rebâti au XVIIème siècle, semblaient avoir été jetés entre les bois et la campagne par la main d’un Dieu amical ». D’où il ressort finalement qu’il a « surtout trouvé dans ces forêts un adoucissement aux rigueurs des lois qui gouvernent nos vies ». Qu’est-ce à dire ?
     « J’ai voyagé toute une année dans la forêt des Ardennes. L’hiver on n’entend pas d’autre bruit que le craquement des branches mortes ou celui des plaques de neige qui s’effondrent, et glissant par paliers du plus haut des sapins presque noirs, se dispersent en fontaines blanches et glacées ». On pourraît en rester là, dans une vaine romantique de bon aloi ou même un certain mysticisme, et se dire qu’un an dans la forêt c’est trop ou pas assez. Mais le problème c’est que dans cette forêt «  rien ne rappelle vraiment l’autre monde, où la vie a ses règles et ses usages, et les bruits mécaniques eux-mêmes sont vite absorbés, et comme recomposés, dans l’athanor de la forêt. Cette forêt on ne l’aborde pas à la dérobée mais de face.»  Voilà la vérité. Ce n’est peut-être pas là la grande forêt des Ardennes et je ne suis pas sûr qu’«il y a quelque chose de monastique, et plus spécialement de cartusien, dans l’Ardenne», mais peut-être est-il sage et nécessaire en effet d’adoucir les rigueurs du climat et du mythe et de moderniser en quelque sorte l’apprentissage de la forêt. Car à chacun sa mémoire de la forêt, qui variera selon son âge, son époque (pas toujours apocalyptique) et les méandres de sa vie, comme Chateaubriand l’a montré, et Sureau le sait bien, qui se réfère aussi à Brocéliande.
     Au fond ce qui fascine notre auteur, en bon lecteur du Contre Sainte-Beuve, qu’il invoque, ce n’est pas tellement Blaise Cendrars ou Elisabeth Prévost, ni même vraiment la forêt ou la Chartreuse (encore que…) en tant que telles, mais plutôt le désir, faute de « rencontrer des écrivains», de les « connaître, et c e que je viens d’écrire m’a été dicté aussi par ce regret ».  Tel est expressis verbis son dernier mot. En somme l’écriture comme remède ou consolation. On lui saura donc gré d’avoir parlé sans ostentation de lui-même et, à sa manière d’expatrié, d’avoir célébré la forêt ardennaise dans des termes que ne désavoueraient pas les thuriféraires de la montagne de Saint-Walfroy. Et quelques autres...

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