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Vignettes mémorielles

La Colline inspirée de Barrès

1 Janvier 2023 , Rédigé par Jean-Pierre Maillard Publié dans #Littérature, #philosophie-religion

La Colline inspirée de Maurice Barrès

     Il est des livres qui ne valent plus guère que par leur incipit et quelques pages souvent citées. C’est le cas de ce roman que j’évoquais récemment à propos de Saint-Walfroy. L’homme politique Barrès est largement discrédité par ses positions ultra catholiques, et même antisociales et antisémites, sauf chez quelques nostalgiques d’une certaine droite nationaliste et xénophobe mais le penseur né en Lorraine à côté de frontières à reconquérir, chantre de la France profonde et apôtre de la spiritualité, est loin d’avoir disparu du paysage médiatique et littéraire. Car ses qualités d’écrivain sont unanimement reconnues, pas seulement au sein de l’Académie dont il fut un membre éminent.
     Il faut lire intégralement le prologue, « véritable prélude musical », comme disait feu notre professeur Lagarde, qui y voyait à juste titre, ce qui est loin d’être sans rapport avec le mythe des Ardennes, une évocation des hauts lieux de la légende celtique. Barrès cite aussi bien des prairies, des plages, des rochers, des monts, des landes et des forêts, comme « la noire forêt des Ardennes, tout inquiétude et mystère, d’où le génie tira, du milieu des bêtes et des fées, ses fictions les plus aériennes (ça c’est pour le Shakespeare de Comme il vous plaira), Domremy enfin. Et l’auteur d’aller même jusqu’à évoquer « la montagne du Hartz, sacrée par le génie germanique, pour y instaurer la liturgie sacrilège du Walpurgisnachtstraum. »
     Bel amalgame mais d’où vient donc la puissance incantatoire de ces lieux ? « La doivent-ils au souvenir de quelque grand fait historique, à la beauté d’un site exceptionnel, à l’émotion des foules qui du fond des âges y vinrent s’émouvoir ? Leur vertu est plus mystérieuse... » et finalement « la lisière d’un bois, un sommet, une source, une simple prairie » peuvent suffire « à écouter plus profond que notre coeur ! Silence ! Les dieux sont ici. » Syncrétisme nervalien » ou romantisme hugolien ? Le débat reste ouvert sur l’inspiration barrèsienne.
     Mais les dérives ne sont pas loin. Passe encore d’évoquer le Mont Auxois à cause d’Alésia, D’aucuns de nos jours ont bien leur roche de Solutré. Mais que, « chargées d’une mission spéciale, ces terres doivent intervenir, d’une manière irrégulière et selon les circonstances, pour former des êtres supérieurs et favoriser les hautes idées morales », voilà qui pose problème et prendra, à la lumière de l’Histoire, une tournure bien inquiétante. En disent long les récupérations récentes de notre droite nationaliste xénophobe et raciste en cette année du centenaire de la mort de Barrès et de son inscription au calendrier 1983 de « France mémoire »
     Reste à voir, au-delà de ce brillant prologue. comment comprendre un roman aussi dostoievskien que La Colline inspirée. Il raconte l’épopée et l’échec des trois frères Baillard, trois prêtres décidés à « relever la vieille Lorraine mystique » sous la direction illuminée de l’aîné, Léopold, héros principal du roman. Très vite des pratiques superstitieuses apparaissent sur fond de faux miracles, de « résurgence des vieux démons du paganisme » et de rumeurs accusatrices d’hérésie et finalement les trois prêtres et quelques acolytes seront, avec l’assentiment des rationalistes du coin et du maître d’école, excommuniés par l’Église de Rome et l’évêque de Nancy. C’est ainsi que Leopold finira dans la solitude, la folie et la rétractation.
     Tout le roman est en effet construit sur l’opposition au sein de l’Église catholique de l’époque entre un courant à la fois mystique et évangélique, comme on dirait de nos jours, fidèle au christianisme originel et aux racines de la terre lorraine et un courant majoritaire conservateur soumis aux rites et à l’autorité, lequel convient bien à l’État pour l’ordre public. Peu importe au bout du compte que Barrès ne tranche pas vraiment dans la dernière page de son épilogue, le fameux dialogue entre la prairie (l’enthousiasme) et la chapelle (l’ordre), qui fait exactement pendant au prologue et son incipit : « Qu’est-ce qu’un enthousiasme qui demeure une fantaisie individuelle [comme celle de Leopold] ? Qu’est-ce qu’un ordre qu’aucun enthousiasme ne vient plus animer ? L’église est née de la prairie et s’en nourrit perpétuellement – pour nous en sauver. Telle est selon Barrès la philosophie de son livre.
     Entre le prologue et l’épilogue tout un roman assez bavard et convenu, mais impressionnant tout de même par des paysages aussi beaux que ces pages connues et surtout par sa connaissance de l’histoire du christianisme dans sa Légende dorée comme dans ses turpitudes. Cela peut encore servir !

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