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Vignettes mémorielles

Faut-il relire Tolstoï ?

26 Juillet 2022 , Rédigé par Jean-Pierre Maillard Publié dans #Littérature, #philosophie-religion

Faut-il relire Tolstoï ?
Tolstoï n’est pas trop à la mode par les temps qui courent mais cela pourrait bien changer un jour prochain. Pour le meilleur ou pour le pire... D’où l’intérêt de le relire pour savoir à quoi s’attendre, au risque de l’exaspération. Car on reste subjugué par la contradiction absolue et désopilante entre le caractère obsolète de la plupart de ses concepts comme de sa vision du monde et le génie de l'écrivain et la qualité de son style. En sorte qu'on est amené selon les moments de lecture soit à jouir sans se lasser (comme si c'était du Proust, et même en plus digeste) de la finesse des descriptions et analyses (des paysages et des réalités comme des caractères), soit à suivre avec attention (sans pour autant y croire) ses démonstrations et considérations générales sur la conjugalité, l'histoire, la religion, la vie et la mort

 Il faut souligner, et c’est ce qui en fait un auteur incontournable malgré ses faiblesses, qu’on se sent constamment concerné, que ce soit à titre personnel (les tribulations d’Anna Karénine et du comte Vronski, comme celles de Ketty et Lévine ont beau être datées, elles sont de toutes les époques, à la manière des grands romans balzaciens et de bien d’autres) ou en référence à la situation sociale et politique actuelle et à notre époque apocalyptique.

Les questions géostratégiques sont au coeur de sa Weltanschauung, Cela ne concerne pas seulement l’Europe où se confrontent dans une attraction réciproque les puissances de l’Ouest (entraînées par l’esprit de la Révolution et Napoléon) et de l’empire d’ Alexandre 1er (avant qu’il ne renonce aux réformes sociales). Cela vaut aussi plus généralement pour les considérations prophétiques sur le progrès et le caractère plus ou moins universel des valeurs dans un monde qui s’élargira inéluctablement en conflit perpétuel. On en trouve un bon résumé dans l’épilogue de Guerre et paix, qui transcende ce vaste le roman à la Balzac en sa véritable dimension épique, mais pourrait s’appliquer encore à Anna Karénine ou d’autres productions moins ambitieuses ou plus tardives.
Tolstoï ne connaît peut-être pas comme Dostoïewski (Ils ne s’ignoraient pas du tout mais ne se sont jamais rencontrés) toutes les profondeurs et souffrances de la société russe et n’est pas attiré par les débats sur les tentations anarchistes, nihilistes ou révolutionnaires mais il est irremplaçable dans son empathie (certes ultraconservatrice et plutôt maladive) pour la ruralité traditionnelle et ce qu’après Gogol on a appelé et appelle toujours « l’âme russe ». Son mysticisme a beaucoup vieilli, même revisité écologiquement par la réhabilitation de la nature et du vivant, mais il n’est pas jusqu’à son attachement à l’orthodoxie spirituelle et au message évangélique qui ne trouve encore bien des échos. Pour le meilleur et pour le pire. On l’ignorera, on le portera aux nues ou on le méprisera, mais ses débats intérieurs et ses contradictions en plein dix-neuvième siècle peuvent encore forcer l’écoute. Car, comme le disait Chestov, chez Tolstoï la raison est compulsive ou elle n’est pas. Intéressant...
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Illustration : Léon Tolstoï au rep
os dans la forêt 1891, Tableau d’Ilya Répine [Expo Paris Peindre l'âme russe , octobre 21 janvier 22]
 

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